Jean-Pierre Geay - Vesseaux - Nov. 2019
Dans Nature céleste, le propos pictural de Bernard Alligand est intemporel et universel.
Dans la première planche, à travers des glacis et des transparences, il fait émerger de l’horizon une ligne d’aurore qui déchire les ténèbres, à moins que ce ne soient les derniers éclats du jour au cœur d’une nuit déjà dense et compacte, d’un noir intense. Lecture polysémique d’une image figurative qui évoquerait un phénomène naturel en train de s’accomplir sans en être cependant la reproduction ou la représentation car l’art, par des moyens spécifiques, crée sa propre réalité.
Face à cette scénographie de pure invention, nous ne pouvons pourtant pas nous empêcher de déceler des liens analogiques entre espace naturel et espace pictural tant nos habitudes perceptives sont façonnées par notre vision de la nature et nous font lire cette image comme celle d’un paysage qu’évidemment elle n’est pas par absence de référents géographique ou géologique, car nous sommes ici dans un espace a-temporel et anté-historique dû à des rapports de tons voulus par le peintre et qui comportent en eux-mêmes leur propre signification : un contraste noir-jaune sur des étendues différentes afin de permettre aux couleurs d’émettre leurs radiations l’une par rapport à l’autre. Contraste qui ouvre aussi la porte à notre imaginaire.
Tel est le pouvoir de l’œuvre d’agir sur notre sensibilité et, par une sorte de retournement, de nous renvoyer à nous-mêmes, à notre expérience de l’espace du paysage, en faisant fi des moyens techniques souvent très complexes utilisés par le peintre pour produire cet effet de ressemblance ou de vraisemblance, alors qu’il s’agît, en fait, de manipulations matiéristes que Bernard Alligand sait parfaitement coordonner et mettre en synchronicité, en accord, en résonances, pour laisser le regard en errance. Une rhétorique de la relation formes/couleurs si fréquente dans son œuvre peint.
L’ombre métaphorique, à peine sorti des limbes, de la seconde planche possède les mêmes propriétés cosmiques que la planche précédente, à cette différence près que le noir qui en assure l’enchaînement thématique, n’est plus brillant mais mate, faisant ainsi ressortir avec plus de présence cette silhouette qui n’a de l’arbre que l’aspect symbolique car il n’en possède aucune caractéristique végétale sinon son élan dans l’espace sur un fond non plus mouvant mais seulement réticulé et non recouvert de résine, laquelle donnait à l’espace, dans la planche précédente, toute sa profondeur.
Figure allusive en formation, seulement esquissée, ou corps céleste aux contours indécis, encore habité, par des lambeaux de nuit, se détachant du vide originel, son lieu de naissance, dans la lumière jaune-orangé d’une éruption solaire en pleine activité. Nous sommes ici dans l’universel qui, lui aussi, échappe à l’emprise du temps.
Abandonnant cette ambivalence visuelle, dans sa troisième et dernière intervention, Bernard Alligand se limite à provoquer l’alliance des contraires dans un espace pictural à la fois dynamique et statique fondé sur des oppositions. D’abord celle du noir et du blanc en balayant par d’énergiques traits horizontaux de peinture noire à la brosse un gaufrage blanc évoquant l’éveil de la matière. Puis celle du blanc et de la couleur en insérant au sein de cet élan trois places colorées géométriques parfaitement immobiles. Triptyque formé de deux carrés de feuilles d’or au vif rayonnement, de part et d’autre d’un carré orangé dont le fond réticulé semble s’être évadé du noir où jusqu’à présent il se trouvait pour faire irruption dans la lumière.
Par sa gestualité et par des formes arrêtées, Bernard Alligand a voulu saisir le moment où les forces antagonistes qui régissent l’univers ardemment se conjuguent.
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