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Les carrés d’art des éditions FMA

Updated: Aug 26, 2022


Depuis 2008, Françoise Maréchal-Alligand a édité une vingtaine de livres d’artistes qu’elle a voulus rares et précieux, parfois même ambitieux pour certains projets collectifs. Ce chef d’orchestre exigeant se montre également soucieux du grand public. Elle aime donner à voir le processus de création et faire entendre la voix des poètes. Une beauté intime qui se partage et prend du relief.

Elle publiait des magazines d’entreprise à des millions d’exemplaires. Aujourd’hui, Françoise Maréchal-Alligand édite des pépites en série très limitée. Trente à quarante-cinq livres numérotés le plus souvent. Parfois moins. « En me spécialisant dans l’éditorial, j’ai pris goût à ce mode de communication. J’avais besoin d’une respiration dans ma vie professionnelle. Cette activité m’a apporté une nouvelle ouverture, plus proche de mes affinités. » Sa vie personnelle était déjà nourrie de références artistiques, « ne serait-ce qu’en tant qu’épouse de Bernard Alligand ». Peintre et graveur, ce mari familier du milieu des bibliophiles lui suggère d’aller explorer le secteur des livres d’artistes. « Dès le début, j’ai voulu travailler sur la rareté et la préciosité. » C’était en 2008. Le catalogue des éditions d’art FMA compte désormais une vingtaine de titres dont plusieurs coffrets : « Je n’aurais jamais imaginé un tel déploiement ! », confie-t-elle dans leur atelier partagé, une merveille d’architecture parisienne, à quelques pas de la place de Clichy.


Avec Michel Butor

La restauration du corps féminin occupe une place à part dans le corpus. Privilège des premières fois. Michel Butor y revisite le mythe d’Isis et d’Osiris en inversant les rôles entre le dieu et la déesse : « Depuis il parcourt l’Égypte / non seulement le Delta / et la Vallée tous leurs champs / qui émergent lentement / dans l’abaissement du Nil / les îles de leurs villages / réfléchies par son miroir ». Les fondamentaux sont posés. Un poème inédit d’un auteur vivant. Et puis des œuvres originales d’un artiste en contrepoint : « J’ai choisi Bernard, cela me semblait évident. Nous sommes très fusionnels et discutons beaucoup. La collaboration avec les artistes reste la partie la plus délicate. Il me fallait une certaine souplesse, flexibilité et complicité pour commencer. » Les trainées bleutées de l’aquarelle sont accompagnées de nuées granuleuses formées par l’estampage de sable ramassé dans le désert libyen. Les strophes forment des blocs réguliers sur les pages carrées : « Ce format intime est souvent revenu par la suite. Il permet au lecteur de s’approprier le livre. Je trouve qu’il se prête bien à l’illustration et offre une vraie liberté dans la mise en page. » Reliure en toile, simple et classique, pour laisser le cœur de l’ouvrage s’exprimer. Typographie au plomb traditionnelle. Françoise tient sa ligne. Elle ne la quittera plus.



Poèmes érotiques

Très vite, l’envie de lancer une collection la tenaille. L’éditrice néophyte lance Carré d’Éros avec Le ring de Tita Reut. Une femme invite son partenaire au plaisir charnel. Le texte et les images en rouge et noir sont crus. Ils bougent dans la page au rythme des enlacements. Les lignes sinueuses esquissent des corps bien nets. En 2010, Gaston Puel compose à son tour un poème érotique : « Gaston m’a proposé un texte superbe qui est une déclaration d’amour à sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer. Au fil de l’édition, il changeait quelques mots, il faisait évoluer sa poésie. Cela a été une aventure formidable, pleine d’émotion. » L’ouvrage a été acquis par la bibliothèque Jacques Doucet avec son manuscrit et la correspondance qui l’entoure : « Tes épaules d’ombre brûlée / M’envoûtent encore et m’invitent ». Françoise demandera un texte similaire à Régine Detambel : « Elle s’est prise au jeu. Cela ne m’a pas tellement étonnée car elle entretient un rapport très fort à la peau et à la sensualité. » Ravigote paraît en 2012, comme Rituel des sens de Sigurður Pálsson. Un volume aux tonalités froides comme les côtes islandaises où la nature réveille les émois : « Pour le moment, j’ai arrêté la collection pour donner plus de libertés aux livres. »

Ruines d’avenir

2013 marque un tournant. Françoise se sent mûre pour confier certaines illustrations à d’aut


res artistes que Bernard Alligand. « Quand tout le monde est prêt il faut se lancer », insiste le mari. Pas de demie mesure. Cette décision se concrétise d’emblée dans un projet d’envergure qui associe sept signatures, une par volume, pour constituer le coffret Ruines d’avenir : « Le long poème de Michel Butor s’inspire de la tenture de l’Apocalypse d’Angers, immense tapisserie médiévale dans laquelle on peut se promener. Il rebondit sur la symbolique du chiffre sept, qui revient constamment dans le texte de saint Jean, pour proposer sept chants, de sept strophes, de sept vers et de sept syllabes ! » Chaque volume porte le nom d’une Église : Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie, Laodicée. Comme l’auteur du IIe siècle, Michel Butor lui adresse une lettre, revisitant les visions de l’apôtre dans une langue contemporaine : « Chers amis je vous écris / depuis l’île de Patmos / pour vous donner du courage / et pour vous réconcilier / c’est la crise de l’église / tout se fend de toutes parts / mais il faut tenir le coup ». Plusieurs strates se superposent : la matrice biblique originelle, les images de la tenture de Jean de Bruges, les vers mathématiques de Michel Butor et les interventions des artistes. Bernard Alligand gaufre et découpe le papier pour faire surgir de fiers cavaliers. Tout en transparence, Patricia Erbelding esquisse un cheval rouge, au galop. Bertrand Dorny reprend la matière textile en collant des tissus japonais. La pastelliste Anne Walker adopte l’esprit des enluminures avec des filets et des cartouches irisés. Maxime Godard convoque les animaux préhistoriques pour créer un bestiaire fantastique. Gérard Eppelé s’intéresse aux anges qu’il dessine avec une technique différente pour chaque exemplaire : aquarelle, encre de couleur, crayon à mine de plomb, etc. Enfin, Michel Butor a droit lui aussi à ses pages blanches qu’il couvre alternativement de rouge ou de bleu pour reprendre le rythme de la tenture.



Masculin, féminin

Cette expérience donnera lieu à une exposition au château d’Angers, reprise à la bibliothèque Louis Nucera de Nice puis à la bibliothèque Ceccano d’Avignon : « Nous avions demandé aux artistes de conserver leurs essais, leurs maquettes, tous les travaux préparatoires. » La genèse de l’œuvre intéresse toujours Françoise Maréchal-Alligand qui aime partager cette dynamique avec le public : « 2000 catalogues ont été publiés pour raconter le projet (Ed. Actes-Sud et la Ville d’Angers). Cela permet de donner une autre dimension aux douze coffrets. » La brochure illustrée contient les témoignages des différents contributeurs, notamment un long commentaire de Michel Butor. Forts de cette aventure collective, les Alligand prennent goût à la tapisserie médiévale : « Nous avons cherché une autre tenture emblématique, mais cette fois-ci profane. » La Dame à la licorne du musée de Cluny s’impose : « C’est un hymne à la féminité qui touche des réalités universelles. J’ai donc confié le premier volume à un binôme masculin, Michel Butor et Bernard Alligand qui ont rendu Aux jardins de la licorne, et le second à un binôme féminin, Régine Detambel et Patricia Erbelding qui ont imaginé Elle est le monde. » Le coffret sorti en 2015 présente ces deux livres en vis-à-vis. Noir et blanc. Blanc et noir. L’animal fabuleux offre sa silhouette familière dans un jeu de positif et de négatif. Les couvertures se répondent d’une façon étonnante, sans concertation car les projets étaient menés de façon indépendante, sous la houlette de Françoise, gardienne du secret. À l’intérieur surgissent des univers complémentaires : « Les hommes adoptent un parti pris descriptif avec des photographies tirées sur des papiers de textures différentes. » Ces pages sont ennoblies à l’aide d’une grande diversité de techniques qui créent de la profondeur et du mystère : dessin, peinture, calque, résine, découpe, estampage… « Le regard féminin est plus allégorique. » Il revisite les mille-fleurs dans des couleurs vives et fraîches en lavis aquarellé. Des applications de cire apportent des effets de transparence qui se révèlent à la lumière en dépliant le livre. Récemment, ce duo contrasté a été présenté au musée de Cluny dans le cadre de l’exposition « Magiques licornes ». La tapisserie n’a pas dit son dernier mot. Françoise réfléchit à un projet qu’elle ne dévoilera pas.

Imprimerie nationale

« Mon métier d’éditrice consiste à offrir des œuvres artistiques et littéraires capables d’enchanter les personnes sensibles à ce type de travail. » En général, c’est elle qui sollicite les poètes pour leur demander une œuvre exclusive : « Il m’arrive de prendre connaissance d’un texte et de ne pas y adhérer tout de suite. Mais je ne peux pas travailler sur un poème qui ne me touche pas. J’aime la fluidité de la langue, la richesse d’expression et de vocabulaire, l’intelligence, l’humour, la justesse. » Françoise lit Baudelaire, Reverdy, Éluard. Heureuse dans les concerts et plus encore dans les musées, cette citadine invétérée confie que la poésie reste l’art qui la « transporte ». Les textes qu’elle retient sont composés à l’ancienne dans l’Atelier du livre d’art et de l’estampe de l’Imprimerie nationale : « J’y viens depuis le début, notamment pour prendre le contrepied du numérique. Je veux qu’on sente la présence des caractères de plomb dans le papier. » Les réserves de l’établissement contiennent des trésors qu’elle utilise volontiers. Bernard Alligand a ainsi retravaillé une abeille de Napoléon III pour Hexagones en désarroi de Michel Butor (2012), les petites bêtes devenues folles dans le monde qui les menace se mettent à parler sur un papier en feuille de mûrier. Pour Rivage de Pount, où Salah Stétié évoque le pays oublié dans lequel les Égyptiens allaient s’approvisionner en denrées rares (2012), un hiéroglyphe différent vient ponctuer chaque strophe. « Le traducteur de l’Imprimerie nationale a même créé le titre. C’est un lieu formidable avec une équipe très attentionnée. » Dans le colophon, Françoise donne souvent des explications sur le caractère choisi, comme le Grandjean ou le Marcelin Legrand qu’elle trouve très élégants. Et de citer le graveur-inventeur Louis Gautier en 1950 : « Je voulais faire pour notre époque un caractère auquel je souhaitais donner des qualités de lisibilité, simplicité et clarté. »

L’art de la mise en page

C’est elle qui assure la mise en page : « Je préfère ne pas avoir d’intermédiaire avec les auteurs. Cela crée une complicité supplémentaire qui permet d’approfondir la relation et de me plonger dans leur univers. Je choisis le format du livre et le cadencement du poème en fonction de son rythme interne. Ils me donnent leur avis. Ensuite, j’envoie la maquette à l’Atelier du livre d’art et j’assiste au BAT. » Quand les ouvrages sont façonnés, ils sont envoyés aux artistes qui interviennent directement sur les pages blanches, entre 250 et 300 grammes, du BFK Rives ou du Moulin du Gué selon les cas : « Bernard travaille la matière avec des effets de gaufrage ou de collage. J’ai donc pris cette habitude. Les artistes apprécient l’épaisseur du support. C’est invitant ! » Voilà le coffret Toros (2017) qui décline les chroniques de Robert Marteau autour de la corrida en trois volumes illustrés par les courbes de Bernard Alligand, les mouvements scénographiques de Julius Baltazar et les sanguines de Gérard Eppelé, la suite du trépidant Torero blessé (2010) du même auteur, tiré de l’accident de José Tomàs dans les arènes d’Aguascalientes : « L’ange discret qui se tient au balcon / Et veille sur toi fut brièvement distrait. » Françoise appelle parfois le titre « logo », une réminiscence de son passé publicitaire. Il est traité comme une image : « J’essaie de traduire le sens en signe avec une certaine exigence. Il faut de la rigueur. » Pas de routine cependant. La pomme et ses pépins (2016) a suivi un processus inversé : « Bernard a envoyé la maquette à Michel Butor en proposant des photographies de New York. Le papier surfacé a été repeint au pochoir sur plusieurs couches pour obtenir un noir très velouté, comme dans Carré des météores (2013). Michel, qui est devenu un ami, a créé le texte en fonction. C’est lui qui a eu l’idée d’alterner les vers bleus et les vers rouges, donnant au texte un sacré rythme. »

Partager lectures et feuilletages

Si elle cultive l’exclusivité, à destination d’une clientèle de collectionneurs et de bibliothèques publiques francophones, Françoise cherche à faire rayonner ses livres plus largement : « Cela peut sembler paradoxal mais je souhaite que tout le monde y ait accès. Les bibliothèques et les médiathèques sont très friandes d’outils de médiation. Elles créent des passerelles entre les arts, comme à Caen ou à Saint-Malo, y compris parfois dans les rayonnages. » Après avoir définitivement quitté son poste de salariée en 2017, l’éditrice s’est donc formée à la vidéo. Une chaîne YouTube propose désormais des feuilletages d’ouvrages ainsi que des lectures par les poètes eux-mêmes : « Le texte prend le relief de la sonorité et de la musicalité. Kenneth White donne des lectures très théâtrales qui s’écoutent avec délectation. Ses écrits sont pleins d’humour et d’intelligence. » Dans Les derniers jours d’Audubon (2015), il raconte comment un savant en quête d’oiseaux finit par disparaître dans le brouillard du Grand-Nord en faisant des croquis. Le grand rassemblement à Geographic Harbor (2017) imagine un congrès de scientifiques aux titres ronflants qui parlent de l’avenir de la planète : « Les discours se perdent en circonvolutions. Pendant ce temps, la nature s’exprime et le glacier fond inexorablement. La fin se termine en onomatopées. » Le fidèle Michel Butor parle d’une façon très lente et posée : « Sa mère était sourde, il a l’habitude qu’on lise sur ses lèvres. » Régine Detambel est une convaincue des bienfaits de la lecture à voix haute qui devient presque une thérapie. Le « petit » nouveau, Bernard Noël, adopte délibérément un ton très neutre, sans emphase, alors que ses textes manifestent un certain lyrisme, comme Trajet de l’oiseau (2018). « J’aime beaucoup aller chez mes auteurs pour les tournages. Nous en sortons toujours très joyeux. » Pour elle, les rencontres restent un moteur essentiel. Elle continue donc de tisser des relations humaines, entre les poètes et les artistes, pour en faire naître des œuvres nouvelles.


Priscille de Lassus


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